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Le "Delta" n'a pas grand chose à voir avec le vrai delta du fleuve Mississipi, situé plusieurs centaines de kilomètres plus au Sud. C'est une région plate et fertile, qui s'étend du Sud de Memphis, jusqu'à la ville de Vicksburg, sur une distance de quelque 300 km, encadrée par le fleuve à l'Ouest et les "central hills" et la rivière Yazoo à l'Est, sur une largeur maximale de 135 km.

Après la dernière colline du Tennessee, sur Highway 61, on entre dans la plaine, au Nord-Ouest de l’état du Mississipi. En ce début d’automne, les champs de coton sont blancs, le ciel est blanc. Il est 2 h. de l’après-midi et il doit faire plus de 40°. La campagne, les fermes, les postes d’essence sur le bord de la route, sont déserts. Tout le monde s’est réfugié dans l’air conditionné. A droite, à la hauteur de Robinsonville, on aperçoit de longs chapelets de wagons de marchandises pourrissant par centaines, en rase campagne, sur un réseau ferroviaire légendaire et abandonné.

En traversant Lula on retrouve la voie ferrée vers le Nord et, courant en parallèle, Old Highway 61, la vraie, celle des chansons. Le touriste reste sur les grands axes. Ici plus question de faire bonne impression. Partout dans les villages et en pleine campagne les maisons sont plus ou moins rafistolées. Dans certains cas, la végétation a repris le dessus et on peut supposer que les cahutes sont inhabitées, quoique…

Ailleurs un chien borgne et famélique ou une vieille Dodge décolorée indiquent une présence humaine. Devant le General Store chinois orné de panonceaux Coca Cola rongés par la rouille, quelques hommes, assis à l’ombre sur des caisses, laissent passer le temps. Surpris par le passage d’un étranger, ils lèvent un œil un instant suspicieux puis retournent toute leur attention vers leur bière en boîte. Quelques gosses maigres jouent avec un vieux bidon, mais tous, enfants comme adultes, sont empreints d’une dignité oubliée dans les métropoles du Nord. Leurs vêtements sont impeccablement propres et, tout à l’heure, quand la chaleur sera un peu retombée, ils se lèveront lentement et retourneront vers leurs masures, droits et fiers comme d’antiques guerriers africains.

Quant aux carrefours isolés, ils sont innombrables dans la région et le diable y signe sans doute encore des pactes à la tombée de la nuit car la musique des héritiers de Robert Johnson est toujours bien vivante. Et c’est là l’aspect le plus fascinant du Delta. 50 ans ont passé, les guitares se sont électrifiées et le Blues s’est codifié, il est monté à Chicago, il a fait le tour du monde et il est revenu ici pour y renouer avec la vraie tradition. Ici plus que nulle part ailleurs c’est encore un phénomène social, l’expression d’une réalité qui n’a au fond que très peu changé depuis le début du XXe siècle. Bien sûr la musique jouée dans les grands festivals est la même qu’à Chicago ou à Montreux. Ce qu’il faut rechercher ce sont les petits festivals locaux. Il y en a plus d’une vingtaine entre Avril et Octobre. Dans les clubs, les juke joints, le public intervient encore au milieu des morceaux, interpelle les musiciens, relance un nouveau thème. Les grands soirs un véritable dialogue s’établit entre tous les participants. L’héritage africain est bien là en ligne directe et évident. Le son fait souvent penser aux villes du Nord mais le feu qui anime les musiciens et le public remonte aux origines. Aucune technologie ne peut reproduire réellement de tels “évènements”.

extraits d'un article de Jacques Moury Beauchamp parut dans le magazine JAZZHOT
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