JACQUES MOURY BEAUCHAMP

COMMENTAIRES ET OPINIONS
.TOUS DES MANIPULATEURS .

MATHEW BRADY
SOLDAT SUDISTE MORT, PETERSBURG, VIRGINIE (1865)
Le photographe recréait à l'arrière du front les scènes de bataille dont il avait été témoin mais qu'il n'avait pas pu techniquement saisir sur le vif. Il y faisait porter à certains soldats nordistes les uniformes pris à l'ennemi.

EDWARD S. CURTIS
PRET A L'ATTAQUE - APSAROKE
(1909)
Le photographe faisait jouer aux jeunes indiens les souvenirs que les anciens gardaient d'une époque révolue. Son travail contribua à la reconnaissance de la culture indienne.

JEWGENI CHALDEJ
SUR LE TOIT DU REICHSTAG
(4 MAI 1945)
Le photographe avait fourni le drapeau aux soldats soviétiques et choisit le site pour la photo. Cette photo fait intentionnellement référence à celle de Joe Rosenthal «Drapeau américain planté sur l'île de Iwo Jima » (23 fevrier 1945), elle aussi quelque peu mise en scène.

De la série “PREMIÈRES DE COUV.”
LE FACE A FACE
NEANDERTAL - CRO-MAGNON
Recréé pour le magazine SCIENCES & VIE par montage informatique de photographies mises en scène.
La mise sur le marché de logiciels simples de retouche photographique, offerts pour l'achat d'un appareil photo numérique, pose enfin au grand public la question de la valeur d'authenticité documentaire de TOUTE image photographique.

Pendant de longues années se sont opposés les défenseurs de la vérité documentaire - la seule voie acceptable pour certains, l'essence même du médium pour d'autres - et les "faiseurs" d'images aux pratiques complexes et mystérieuses.
L'opinion des premiers a longtemps définit, et définit souvent encore, non pas ce que peut être, mais ce qu'EST la photographie, une représentation objective de la réalité. Ce point de vue reste très répandu dans le grand public en manque de repères fiables à l'heure de la saine remise en cause des médias d'information.
Pour ma part, je me reconnais dans le deuxième groupe, celui des "faiseurs". Il ne faut donc pas s'attendre ici à un commentaire objectif.

Pourtant je suis convaincu de la nécessité du document photographique, mais je pense qu'on ne le trouve pas forcément là où on l'attend le plus.
L'image photographique est toujours le résultats des choix, conscients ou non, de l'opérateur au moment de la prise de vue. La question n'est donc pas de savoir si le photographe a saisis la vérité mais s'il a voulu la représenter. C'est l'intention et non l'acte qui nous assure, nous spectateurs, que l'image que nous regardons représente une part de vérité. Or cette volonté de représenter la vérité, sa vérité, peut amener le photographe a utiliser des artifices qui semblent condamnables à certains.
Les exemples sont nombreux dans l'histoire de la photographie : les photos de Mathew Brady pendant la guerre de sécession, le remarquable travail d'Edward Sheriff Curtis sur les traditions des indiens d'Amérique, la libération de Berlin vue par Jewgeni Chaldej, pour n'en citer que les plus connus. Ces mises en scènes avaient pour volonté de donner des images les plus authentiques possibles, à la hauteur de ce dont leurs auteurs avaient été témoins sur le terrain. Elles furent très critiquées, voire condamnées, à leurs époques. Aujourd'hui elles sont reconnues comme des représentations fidèles, sinon authentiques, de la réalité.
L'éloignement dans le temps ou dans l'espace rend cette reconnaissance plus facile. Nous questionnons moins la véracité d'une photographie prise dans un lieu ou à une époque que nous ne connaissons pas. Dans ce cas pourtant, mieux connaître l'intention de l'auteur devient une nécessité. Les photos pré-citées sont le travail de photographes exigeants, guidés par la volonté de rendre compte au plus prêt du sujet qu'ils ont choisis de faire connaître.

Prenons un exemple beaucoup plus proche de chacun : les photos de famille, les photos de vacances. Ne sont-elles pas, elles aussi mises en scène dans la volonté de "documenter" l'événement. Un observateur extérieur de l'espèce humaine qui n'aurait pour information que nos photos de famille, conclurait vite que nous sommes toujours de face et toujours heureux. La "manipulation" commence avec le "Souriez" systématique et tous les "Tiens toi droit" et autres "sort les mains de tes poches" qui ont jalonnés nos enfances. Nous avons les traces de ces moments heureux. Sont-elles les images de la vérité ? Elles sont en tout cas la représentation de l'intention de leurs auteurs, une intention formatée par les habitudes et les conventions, ritualisée par notre société de l'image. Elles sont les souvenirs que nous voulons garder.
La manipulation, puisque manipulation il y a, nous semble acceptable puisque nous acceptons l'intention du photographe.
Les photos manipulées reconnues comme telles sont bien sûr, entre autres, les images publicitaires et les photos de groupes retouchées dans les services du KGB. C'est bien ici et là les intentions et non la pratique photographique qui sont mises en cause.

Les motivations des photographes ne sont pas toujours perceptibles ou expliquées parallèlement à leurs images, mais le spectateur doit toujours se poser la question de l'intention de l'auteur s'il recherche l'information dans une photographie.
Bien d'autres approches de l'image sont possibles.

La mise à disposition d'outils informatiques de manipulation grand public nous oblige à questionner encore plus nos propres motivations. C'est une remise en question fondamentale de la définition même du terme « photographie ». Plus personne ne peut désormais prétendre que la représentation photographique est indissociable de la réalité. C'est une invitation à questionner les conventions qui conditionnent le regard que nous portons sur bientôt deux siècles d'images photographiques.