JACQUES MOURY BEAUCHAMP

COMMENTAIRES ET OPINIONS
.QUESTIONS DE TEMPS… .
(guide PHOTOFOLIES EN TOURAINE 2006)

NICÉPHORE NIEPCE
VUE PAR LA FENÊTRE À GRAS (1826)
Une exposition de huit heures.
LA SPEED GRAPHIC
DE GRAPHLEX
Commercialisée en 1912
Le nom même de cet appareil photo se passe de commentaire.
HAROLD EDGERTON
BALLE TRAVERSANT UNE POMME
1964
Edgerton, ingénieur, fut un pionnier de la photographie au flash électronique.
de la série
MUSIC IN MOTION
1989
Cette superposition d'expositions sur un unique plan film a nécessité un temps total de prise de vue de plusieurs minutes.
Depuis l'invention de la photographie, ses utilisateurs ont été confrontés à la question du temps : temps d'exposition, temps de traitement, stabilité dans le temps … Le temps aussi qui s'écoule entre la naissance chez le photographe d'une intention d'image et la matérialisation de celle-ci sur un support visible de tous.

Les technologies numériques apportent leur lot d'accessoires à raccourcir le temps, mais cette volonté est présente tout au long de l'histoire de la photographie en une succession de petites révolutions destinées à diminuer les temps de pose, les temps de manipulation des appareils de prises de vues, les temps de traitements aussi. Les supports et les chimies préfabriquées nous ont fait gagner du temps. L'apport des automatismes de tout acabit abondent dans ce sens jusqu'au fond de nos laboratoires. Les nouveaux outils avec des obturateurs encore plus rapides, les fonctions automatiques des logiciels et des temps d'impression toujours plus courts contribuent largement à cette course sans fin.

En 1826 Nicéphore Niepce donne naissance à la photographie : une exposition longue de huit heures. La nécessité de réduire le temps de réalisation est posée dès le départ. Daguerre le ramène à quelques minutes et dès 1851, grâce au collodion de Frederick Scott Archer, il n'est plus question que de secondes. Les émulsions au gélatino-bromure d'argent (Richard Maddox en 1871), le film souple en bobine (George Eastman en 1888) ouvrent à la photographie les portes de l'industrie avec des capacités de recherche accrues. On peut à l'époque réaliser cent prises de vues avant de devoir retourner l'appareil à l'usine Kodak pour développement et rechargement. Le gain de temps à la prise de vue est précieux. En 1925 Leica commercialise le premier appareil photographique utilisant du film cinéma 35mm : 36 vues avant de rouvrir et de recharger soi-même le boîtier. Mais le film doit toujours passer par le laboratoire. Qu'à cela ne tienne, en 1947 Edwin H. Land invente pour Polaroïd le film instantané : le résultat est prêt pour l'encadrement en moins de deux minutes. L'obturateur à rideau atteint le 1000e de seconde en 1963. Le flash électronique, produisant des éclairs d'une durée inférieure au 10 000e de second permet de figer un battement d'aile. Les films, les temps de traitement, sont de plus en plus rapides. La cellule intégrée, puis couplée, l'avance du film puis son rembobinage motorisés, la prise de vue en rafale, la mise au point automatique, tout contribue à "gagner" du temps. Voilà enfin la photo numérique : prise de vue au 8000e de seconde, connexion directe à l'imprimante ultra rapide qui sort un tirage photo en moins d'une minute !

Reprenons notre souffle quelques instants … la course n'est pas terminée.

Pourtant la photographie, comme toute autre forme d'expression, nécessite du temps. Non seulement du temps de réalisation, mais du temps pour que l'intention, la première étincelle, se développe, prenne forme et sens, mûrisse. Ce temps là s'est longtemps partiellement superposé au temps de réalisation et s'est du même coup raccourci avec lui. Il est pourtant essentiel qu'il ne soit pas sacrifié sur l'autel du progrès technique. Sans doute va-t-il prendre une autre forme : le temps que nous passions (passons ?) à préparer et traiter nos images argentiques va devoir être remplacé par le temps indispensablement consacré à étudier, trier et enfin élire LA photo parmi des centaines, voire des milliers d'images peut être trop vite capturées.

La révolution numérique n'est sans doute qu'une révolution de plus dans un domaine qui n'a cessé d'en connaître, mais la course au temps ne va pas s'arrêter là.

Pour tous ceux qui sont passionnés par l'image est-ce vraiment l'essentiel ? Ou bien n'est-il pas grand temps de prendre son temps ?