DIRECTRICE DE LA RECHERCHE CHEZ LIPPINCOTT & MARGULIS

L’étude de marché a t'elle permis de définir certaines règles qu’on pourrait appliquer systématiquement au dessin de logo, ou la création d’un logo doit-elle être abordée chaque fois comme un problème unique?
En matière de développement de logo, nous conduisons généralement une étude avant de dessiner quoi que ce soit.
Il y a la méthode idéale et puis certaines variations de cette méthode. Habituellement nous conduisons une étude auprès du marché qui serait exposé au logo afin de déterminer les attributs ou l’image que nous voulons communiquer au travers du logo. Avec les informations recueillies nous établissons des critères de création. Ensuite nous utilisons ces informations pour développer des présentations d’idées, différentes alternatives. Ce qui arrive après cette étape varie : soit le client sélectionne l’une des idées, soit nous revenons auprès du marché auquel le logo sera exposé et nous déterminons lequel des projets fait le mieux passer l’image que nous voulons communiquer. Ceci est la méthode idéale.
Il s’agit donc d’un processus “personnalisé” pour chaque logo …
Absolument, parce que les clients n’ont pas tous le même budget, certains d’entre eux ont déjà fait les études qui définissent les objectifs d’image à atteindre, d’autres, pour des raisons politiques, ne s’intéressent pas à une autre opinion et veulent que la décision soit entièrement la leur.
Si vous avez un client qui appartient au même secteur qu’un autre pour lequel vous avez déjà fait de la recherche, est-ce que certains éléments de cette recherche ne peuvent pas être utiles pour votre nouveau client?
Pas réellement, le cas ne s’est pas présenté.
Je pense que çà pourrait arriver pour la création de conditionnements, j’ai travaillé dans ce secteur. Pour le conditionnement on peut établir certaines règles basées sur les types de produits. Si vous deviez dessiner des conditionnements de soda par exemple, du ginger ale et de l’eau gazeuse, vous mettriez le ginger ale dans une bouteille verte et l’eau gazeuse dans une bouteille transparente et les étiquettes changeraient peut être suivant la marque. Il existe certaines règles pour les produits alimentaires, vous voudrez utiliser des couleurs froides pour les produits servis froid et généralement des couleurs chaudes pour ceux servis chaud … Mais nous n’avons aucune règle spécifique pour le dessin de logo.
Une connaissance du secteur d’activité peut nous donner une indication pour explorer la question de la couleur. Le graphisme lui est toujours une création originale basée sur des objectifs ou une histoire (nous nous plaçons parfois dans une perspective historique quelconque). Nous avons fait des études sur la couleur qui ne nous ont pas nécessairement mené à une décision spécifique. Nous en avons fait une pour le transport aérien en partant du point de vue qu’un grand nombre de compagnies ont des logos bleu, blanc, rouge ou rouge et blanc, ou bleu et blanc. Nous avons montré aux consommateurs ces couleurs sans aucun graphisme et nous leur avons demandé de décrire la compagnie aérienne représentée.
Dans un sens, nous avons regardé ce que le secteur faisait dans son ensemble et ensuite nous avons étudié d’autres alternatives. Et nous avons reçu des consomateurs des réponses très variées, basées sur ce que, dans leur imagination, ces couleurs représentaient pour le transport aérien.
Nous avons fait une étude similaire dans la catégorie des desserts glacés: une certaine nuance de rose était perçue comme étant trop crue, elle donnait l’impression que le dessert sortant du magasin serait trop sucré.
Qu’elle est la taille des groupes d’utilisateurs sur lesquels vous faites vos recherches?
Cela aussi dépend du client. Nous sommes convaincus que pour une étude de logo ou de graphisme, la qualité de la recherche a beaucoup plus de valeur que sa quantité. Nous aimons parler aux gens d’image et de questions d’imagerie et non pas simplement obtenir des chiffres et des pourcentages. Quand nous testons un dessin de logo, nous n’attendons pas que les consommateurs prennent la décision pour nous et rarement, si jamais, nous ne demandons aux membres du public ciblé quel logo est le meilleur à leur avis, lequel ils préfèrent.
Nous aimons mesurer les logos par rapport aux objectifs d’image pour déterminer quel projet atteint le mieux le but fixé par l’entreprise. C’est ce qui détermine notre décision.
Quelques fois un logo fonctionnera très bien selon beaucoup des caractéristiques type et mal selon d’autres. C’est un numéro d’équilibriste. Nous devons alors évaluer chaque caractéristique et établir quelles sont les plus importantes, voir si l’on ne peut pas modifier légèrement le graphisme pour améliorer les attributs qui n’ont pas été perçus par les gens, ceux que le logo doit représenter.
Je comprends que tester des idées permet de réaliser un graphisme plus effectif, mais ces idées ne dépendent-elles pas de la compréhension qu’ont les graphistes de la personnalité du client, et de leur intuition plutôt que d’études de marché?
Les graphistes prennent-ils leurs décisions en se basant uniquement sur la recherche, uniquement sur leur créativité, ou tiennent-ils compte de la sensibilité du client, de sa personnalité ?
Je pense que tous ces facteurs entrent en jeu, et généralement toute entreprise qui développe un système graphique fait preuve d’ouverture d’esprit. Ils verrons une variété d’approches qui peuvent être extravagantes.
Les prédispositions du client ne limitent en rien l’exploration graphique, mais elles peuvent déterminer jusqu’à quel point un graphisme extrême dans l’éventail présenté peut être accepté plutôt qu’un autre, même s’il diffère de ce que le client considérait approprié.
Nous ne regardons pas les projets en disant : le client ne va aimer que ces trois directions, on ne va rien lui montrer d’autre. Nous regardons généralement l’éventail de projets le plus grand possible, nous selectionnons ceux d’entre eux qui nous paraissent les plus appropriés et parmi ceux-là nous essayons de trouver quelque chose qui réponde aux besoins du client.
Il s’agit ensuite d’essayer de les ramener là où vous pensez qu’ils devraient être. Cela fait partie du processus de vente et c’est là que la recherche devient très importante. Quelque fois le client ne voudra pas s’écarter trop de son image passée et la recherche peut montrer que le changement d’image réalisé grâce à un logo différent peut l’amener à un niveau qu’il n’avait pas encore atteint.
Lorsque vous travaillez avec un client qui est en activité depuis un certain temps, vous avez une base, un historique pour vos recherches, mais que ce passe t-il dans le cas d’une entreprise nouvellement créée?
Le facteur qui entre en jeu dans le cas d’une entreprise existante est le suivant : vont-ils perdre certains acquis en changeant le vieux logo et dans ce cas quels aspects vont-ils perdre et que vont-ils gagner avec le changement, et de combien peuvent-ils s’éloigner de leur image actuelle. Pour la recherche, dans le cas d’une nouvelle entreprise, ce n’est pas très différent. La seule chose est que nous ne pourrons nous baser sur aucun acquis. La recherche sera la même: nous nous adresserons au public ciblé pour lui parler d’image et c’est sur celà que nous baserons les critères de création.
Combien de temps s’écoule t-il habituellement entre la première rencontre avec un client qui veut un nouveau logo et le moment ou le projet final est accepté?
C’est variable. Celà dépend de l’étendue des recherches mais je dirais entre trois mois et un an, s’ils font toutes les recherches.
Nous avons fait trois mois de recherche pour la companie aérienne dont je vous parlais tout à l’heure, avant de faire le premier dessin et ensuite nous avons fait des études de qualité et de quantité.
Il semble qu’il existe deux écoles différentes de pensée et de travail en matière de création graphique : d’un côté il y a les graphistes qui “signent” leurs logos, qui sont des personnalités connues pour leurs créations et qui se basent surtout sur leur expérience professionnelle et leur intuition,et de l’autre côté, des agences comme Lippincott and Margulies ou la création est présentée comme le résultat anonyme d’un travail collectif impliquant des graphistes et d’autres professionnels…
La différence dont vous parlez est de tradition dans notre industrie. Les graphistes ne veulent pas permettre à des “non-graphistes” de leur dire ce qu’ils trouvent approprié.
C’est pourquoi lorsque nous conduisons des études, nous sommes convaincus que le consommateur, le public ciblé, n’est pas la personne qui doit déterminer si un graphisme est bon ou mauvais. Il ne lui est jamais permis de juger le graphiste ou le graphisme. Je répète que toute les recherches conduites ici sur le plan graphique le sont par rapport à un objectif d’image de marque.
C’est toute la différence. Un bon nombre de graphistes se sentent concernés par celà, et à juste titre, parce que j’ai vu beaucoup de gens faisant de la recherche qui permettent aux consommateurs de critiquer le graphisme, ce qui n’est pas la raison pour laquelle nous interrogeons le public.
En fait beaucoup de nos graphites ont étés gênés à l’occasion par des recherches concernant la création graphique et il y a un énorme changement lorsqu’ils voient plus tard à quel point ces recherches sont bénéfiques pour la vente de leurs créations. Ils ont la réponse des consommateurs pour confirmer ce que leur logo doit communiquer, comment ceux-ci perçoivent l’entreprise. Çà donne beaucoup de force derrière les graphismes qu’ils ont créés. Çà retire énormément de subjectivité dans le processus décisionnel, le client a des faits pour l’aider avant de prendre sa décision.
Ne vous est-il jamais arrivé qu’un logo mis sur le marché ne fonctionne pas comme il avait été prévu qu’il le fasse?
Mon expérience est que çà a toujours été une réussite.
Je vous dirais aussi où çà a été une réussite lorsque nous avons pu l’utiliser. Quand une entreprise change de logo, les employés pensent parfois que ce changement est indicatif d’autres changements au sein de l’entreprise. Bien sûr, c’est souvent l’objectif du changement, donner aux gens l’idée que l’entreprise va changer de manière positive, que l’avenir est plein de promesses. Mais parfois les gens s’inquiètent du changement. La recherche peut être utilisée pour que les employés soient rassurés, pour leur expliquer les raisons du changement: “Nous avons ces objectifs pour notre image, et quand nous avons montré ces logos aux consommateurs ils nous ont répondu que l’entreprise derrière ce logo avait ces cinq ou six caractéristiques”. Celà leur donne une cause de fierté.
Çà aide donc à vendre une nouvelle identité au sein même de l’entreprise.
Les services que vous proposez vont bien au delà de la simple création de logos. Peut-on dire que cette création de logos n’est que la conséquence du travail effectué sur l’image de marque de vos clients?
Nous faisons parfois beaucoup de recherche d’image et pas de logo.
Nous faisons quelques fois un changement de nom, ou nous leur fournissons juste une image, des buts et des directions sans aucun graphisme.
Naturellement, aux vues de ces directions, s’il y a beaucoup de changements dans l’entreprise, ils devrons changer une partie de leur expression visuelle en se basant sur la nouvelle image, les buts et directions. Notre fonction première est de donner aux gens la direction appropriée et ensuite de leur donner les expressions visuelles et verbales à présenter au monde extérieur.
Dans ce sens la recherche donne aux graphistes une base “philosophique” plutôt que des impératifs à suivre dans le choix des formes et des couleurs …
Bien que, si l’image était pour le leader de l’industrie lourde aux Etats Unis, un graphiste ne penserait normalement pas à utiliser un caractère italique avec des empattements pour le logo. Leur réponse sensible à l’expression de ces éléments visuels serait conduite par ces critères.
Ce devrait être évident à tout graphite professionnel, avec ou sans étude de marché. L’apport de la recherche doit être plus subtil …
Mon exemple est peut être un peu simpliste. Mais notre critère d’image peut être contenu dans un seul mot et une définition d’un paragraphe expliquant ce que cette image signifie pour un certain public. Par exemple, quelque chose comme “qualité” en tant qu’image n’aura pas la même signification pour un voyageur et pour un acheteur d’ordinateur. C’est là que les nuances interviennent et que le langage utilisé par le consommateur réel est tissé dans l’objectif d’ensemble.
C’est très utile. Certains dirons que çà n’est pas nécessaire, qu’ils peuvent prendre une décision, mais c’est très utile pour tous les partis concernés. Çà peut parfois aider à affiner quelque chose que vous avez dessiné. Tout peut être excellent mais un aspect du logo peut communiquer la mauvaise impression aux gens. S’ils avaient fait une étude par exemple pour le symbole de Procter & Gamble il y a plusieurs années, ils auraient peut être trouvé que certaines personnes voyaient “666” dans leur logo. Je ne l’ai jamais vu, mais c’est un exemple d’une situation où quand quelque chose communiquait une image négative, on aurait pu le découvrir. Ils n’auraient eu qu’une modification mineur à faire et tout aurait été parfait.
C’est un mécanisme pour détecter les problèmes. Çà vous donne l’assurance que vous ne faites pas d’erreurs.
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